La lutte contre la corruption engagée par l’État algérien a conduit, ces dernières années, à la confiscation judiciaire des biens de nombreuses entreprises économiques impliquées dans des affaires de corruption. Si ces mesures visent à préserver l’ordre public économique et à sanctionner les pratiques illicites, elles ont également eu des répercussions directes sur les travailleurs salariés de ces entreprises, qui se sont retrouvés, sans responsabilité de leur part, confrontés à la perte de leur emploi et de leurs moyens de subsistance.
Afin de prévenir toute injustice sociale et d’assurer une protection effective des droits des travailleurs concernés, le législateur a prévu un mécanisme spécifique de prise en charge par l’État. C’est dans ce cadre qu’a été adopté le décret exécutif n° 25-312 du 1er décembre 2025, lequel fixe les mesures et procédures exceptionnelles applicables aux travailleurs des entreprises économiques ayant fait l’objet de décisions judiciaires définitives de confiscation de biens dans le cadre des affaires de corruption.
Ce texte s’inscrit dans la continuité de l’article 33 de la loi de finances complémentaire pour 2022 et vise à concilier l’exigence de justice pénale avec la protection sociale des salariés.
Champ d’application et bénéficiaires du dispositif
1. Entreprises concernées
Le décret s’applique aux entreprises économiques faisant l’objet de décisions de justice définitives ordonnant la confiscation de leurs biens pour corruption. Sont visées :
- les entreprises placées sous administration judiciaire ;
- celles ayant cessé totalement leur activité ;
- celles contraintes d’appliquer un « volet social » en raison de leur situation financière ou juridique.
2. Travailleurs bénéficiaires
Peuvent bénéficier du dispositif tous les travailleurs salariés de ces entreprises, sans distinction de catégorie professionnelle, dès lors qu’ils subissent une perte d’emploi ou une interruption d’activité liée à la confiscation judiciaire.
Les mesures de protection prévues au profit des travailleurs
Le décret institue trois mécanismes distincts de prise en charge, adaptés à la situation individuelle de chaque travailleur.
1. L’ouverture du droit à la retraite anticipée
Les travailleurs remplissant les conditions légales peuvent bénéficier du régime de retraite anticipée, conformément à la législation en vigueur, avec prise en charge financière par l’État.
La date d’effet de la retraite est fixée à compter du dépôt du dossier auprès de la Caisse nationale de retraite (CNR).
2. L’accès au régime de l’assurance chômage
Les travailleurs qui ne remplissent pas les conditions de la retraite anticipée peuvent bénéficier de l’assurance chômage, gérée par la Caisse nationale d’assurance chômage (CNAC).
Les prestations prennent effet à compter de la date de dépôt du dossier, selon les règles prévues par le décret législatif n° 94-11 relatif à l’assurance chômage.
3. L’indemnité de licenciement exceptionnelle
Pour les travailleurs ne pouvant bénéficier ni de la retraite anticipée ni de l’assurance chômage, le décret prévoit l’octroi d’une indemnité de licenciement, financée par l’État.
Modalités de calcul
- Salaire de référence : moyenne des salaires perçus durant les 12 derniers mois ;
- Durée d’indemnisation : un mois par année de travail effectif, dans la limite de 15 mois ;
- Le salaire de référence ne peut être :
- inférieur au SNMG ;
- supérieur à trois fois le SNMG.
Procédures de dépôt et rôle des organismes compétents
1. Rôle de l’administrateur judiciaire
Lorsqu’un administrateur est désigné, il est chargé de :
- constituer les dossiers des travailleurs ;
- les déposer auprès des organismes de sécurité sociale compétents ;
- établir les décisions de licenciement lorsque cela est nécessaire.
2. Dépôt direct par le travailleur
En l’absence d’administrateur, le travailleur peut déposer son dossier personnellement ou par l’intermédiaire de son représentant auprès de l’agence de wilaya de la CNAC territorialement compétente.
3. Délais de traitement
Les organismes de sécurité sociale sont tenus de liquider les dossiers dans un délai maximal d’un mois à compter de leur dépôt.
Création d’une commission nationale de suivi et d’évaluation
Le décret institue une commission nationale chargée de :
- suivre la mise en œuvre effective des mesures ;
- évaluer leur impact ;
- proposer des ajustements ou améliorations ;
- élaborer des rapports trimestriels destinés au ministre chargé du travail.
Cette commission regroupe des représentants de l’État, des organismes de sécurité sociale, ainsi que des représentants des travailleurs et des employeurs, garantissant une approche concertée et équilibrée.
Prise en charge financière par l’État
L’ensemble des dépenses liées au dispositif est supporté par l’État, notamment :
- les contributions ouvrant droit à la retraite anticipée ;
- les contributions à l’assurance chômage ;
- le remboursement des indemnités de licenciement ;
- la prise en charge des cotisations de sécurité sociale ;
- les frais de gestion supportés par les organismes concernés.
Les remboursements aux organismes de sécurité sociale s’effectuent trimestriellement, sur la base de situations financières validées par le ministère du Travail.
Le décret exécutif n° 25-312 du 1er décembre 2025 marque une avancée importante en matière de justice sociale et de protection des travailleurs. Il consacre le principe selon lequel les salariés ne doivent pas supporter les conséquences économiques des fautes pénales commises par les dirigeants ou propriétaires de leurs entreprises.
En instaurant un cadre juridique clair, des mécanismes de prise en charge diversifiés et une implication directe de l’État, ce texte contribue à préserver la stabilité sociale tout en renforçant la crédibilité de la lutte contre la corruption en Algérie.
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