Le développement rapide des systèmes d’aéronefs sans pilote à bord (UAV ou drones) a conduit l’Algérie à mettre en place un cadre réglementaire progressif et cohérent, couvrant à la fois la formation des télépilotes, l’utilisation des drones de l’État et désormais la gestion des décisions administratives et contentieuses relatives à ces systèmes.
L’arrêté interministériel du 14 juillet 2025 (18 Moharram 1447) s’inscrit pleinement dans cette architecture. Pris conjointement par le ministre de la Défense nationale, le ministre de l’Intérieur et des Collectivités locales et le ministre des Transports, il vient fixer les missions, l’organisation et le fonctionnement de la commission intersectorielle prévue à l’article 42 du décret présidentiel n° 21-285 du 13 juillet 2021 — le texte fondateur du cadre général régissant les drones en Algérie.
Cette commission intersectorielle constitue un organe pivot : elle agit comme instance d’arbitrage, de recours et de conseil en matière de drones civils et institutionnels. En d’autres termes, elle incarne la volonté de l’État d’assurer une régulation centralisée, collégiale et transparente des autorisations, agréments et suspensions liés à l’utilisation de ces technologies sensibles.
Une commission au cœur du dispositif national de régulation
Une instance rattachée à la Défense nationale, à compétence interministérielle
L’article 2 place la commission auprès du ministère de la Défense nationale, confirmant ainsi le rôle central des autorités militaires dans la supervision des drones, domaine à forts enjeux sécuritaires et stratégiques.
Cependant, sa composition (art. 4) illustre une approche intersectorielle : elle associe treize institutions clés, parmi lesquelles :
- le ministère de la Justice, garant de la légalité des décisions,
- le ministère des Finances, pour le contrôle économique des opérations d’import/export,
- le ministère des Télécommunications, pour les aspects techniques de fréquences,
- l’Agence nationale de l’aviation civile et l’Agence nationale des fréquences,
- ainsi que les forces de sécurité (Gendarmerie nationale, DGSN, Douanes).
Cette composition reflète la pluralité des enjeux liés aux drones : sécurité, technologie, économie, justice et gouvernance.
Des missions stratégiques : arbitrer, contrôler, conseiller
L’article 3 énumère des missions essentielles :
- statuer sur les suspensions ou annulations d’agréments délivrés par le Centre national des systèmes d’aéronefs sans pilote à bord ;
- examiner les recours contre les refus d’autorisations, qu’il s’agisse de fabrication, d’importation, de vente, de maintenance ou d’expérimentation de drones ;
- rendre des avis sur les projets de textes réglementaires ;
- et proposer toute mesure pour améliorer le fonctionnement du secteur.
Autrement dit, la commission joue un triple rôle de :
- Régulateur (contrôle et sanctions),
- Juge administratif de recours (arbitrage des litiges),
- Conseiller du gouvernement (avis et propositions).
Elle devient ainsi un maillon de gouvernance hybride, à la fois administratif, technique et stratégique.
Une organisation collégiale et encadrée pour garantir l’impartialité
Un fonctionnement structuré et encadré dans le temps
L’arrêté consacre un chapitre entier à la structuration de la commission.
- Les membres et leurs suppléants sont désignés pour trois ans, renouvelables une seule fois (art. 6).
- La présidence est confiée à un officier supérieur du ministère de la Défense nationale, tandis qu’un représentant du Secrétariat général de la Défense nationale agit comme vice-président.
- Un secrétariat permanent (art. 7) assure le suivi administratif : réception des recours, préparation des réunions, archivage, gestion des données et notification des décisions.
Ce dispositif garantit une continuité institutionnelle et une traçabilité totale des décisions, répondant aux exigences de transparence et de sécurité.
Une collégialité encadrée par des règles de quorum et de procédure
Les articles 8 à 15 définissent le mode de fonctionnement concret :
- La commission adopte son règlement intérieur lors de sa première réunion.
- Les réunions se tiennent au ministère de la Défense nationale, sur convocation du président.
- Le quorum est fixé aux deux tiers des membres ; à défaut, une nouvelle séance peut se tenir quel que soit le nombre de présents (art. 10).
- Les décisions sont prises à la majorité simple, la voix du président étant prépondérante.
Ces règles, inspirées du droit administratif classique, assurent un équilibre entre efficacité et collégialité. Les procès-verbaux, consignés dans un registre officiel, assurent la sécurité juridique des délibérations.
Le traitement des recours : transparence, délai et droit à la défense
Des recours organisés dans un cadre strict
L’article 12 fixe un délai de quinze (15) jours pour déposer un recours contre une décision de rejet, auprès du Centre national des systèmes d’aéronefs sans pilote à bord, qui transmet le dossier à la commission dans les 24 heures.
Le recours doit comprendre (art. 13) :
- une requête écrite,
- la copie de la décision contestée,
- et, le cas échéant, tout document justificatif.
Ces délais courts traduisent la volonté d’une réactivité administrative adaptée à un secteur technologique en constante évolution.
Une instruction rapide et une notification encadrée
La commission doit statuer dans un délai maximum de vingt (20) jours (art. 14).
Pour les opérations urgentes, comme les autorisations d’utilisation de drones dans le cadre d’une mission ponctuelle, le délai ne peut excéder la date de mise en œuvre du projet.
Les décisions sont ensuite transmises par le secrétariat permanent au Centre national, qui notifie le requérant (art. 15).
Enfin, un rapport annuel (art. 16) est transmis au ministre de la Défense nationale, offrant une vision consolidée des décisions et tendances dans le domaine des drones.
Une architecture institutionnelle pour un secteur stratégique
L’arrêté interministériel du 14 juillet 2025 parachève la construction du dispositif algérien de gouvernance des drones.
Après avoir :
- formé les télépilotes,
- encadré l’usage des drones d’État (arrêté du 27 juin 2025),
- ce texte crée une instance de coordination et de recours, garante de la légalité, de la cohérence et de la transparence de l’action publique en la matière.
La commission intersectorielle devient le chef d’orchestre administratif du secteur des drones : un espace de dialogue entre institutions civiles et militaires, entre technique et droit, entre innovation et sécurité.
Elle incarne la volonté de l’État de maîtriser un domaine stratégique, en conjuguant souveraineté, efficacité et gouvernance partagée.
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