- 1962 : Indépendance de l’Algérie. L’Etat algérien est tout puissant et l’économie est d’influence socialiste. L’Etat n’accepte que peu d’être concurrencé dans ses prérogatives, surtout lorsqu’il s’agit de prérogatives régaliennes telles que la justice. La pratique est donc de recourir aux tribunaux étatiques, classiques, même en matière commerciale. L’Etat est le “principal moteur du développement” et “opérateur unique du commerce international”. L’arbitrage tant interne qu’international sont négativement impactés. En réalité, pour tout un tas de raisons, l’arbitrage n’est pas né en Algérie sous une bonne étoile, et les premières expériences vécues l’ont été dans des circonstances et un contexte qui vont marquer profondément et de manière défavorable et même polémique les positions du pays à l’égard de la procédure arbitrale. En Algérie, l’arbitrage porte avec lui l’odeur du pétrole, et ce lien qui résulte des circonstances historiques n’est pas fait pour faciliter son acclimatation dans un Etat qui vient d’accéder à l’indépendance. En effet, c’est en raison de l’existence de ressources pétrolières et de concessions, dont la plupart sont aux mains des sociétés françaises que le problème va se poser avant même l’accès à l’indépendance du pays, puisque le statut des ressources a été une importante pierre d'achoppement des négociations d’Evian. Parmi les garanties que l’Algérie devait accorder aux activités pétrolières (c'est-à-dire aux concessions françaises) l’une d’entre elles concernait le règlement des litiges susceptibles de naître entre l’administration et les sociétés, surtout en matière d’impôts et de redevance. Sous l’empire du code pétrolier saharien adopté par la France, il appartenait au Conseil d’Etat de connaître du contentieux pétrolier. Logiquement, selon les principes et règles de successions d’Etat, la compétence contentieuse aurait dû revenir au futur organe juridictionnel algérien destiné à remplacer le Conseil d’Etat français. Or, c’est cette conséquence que la France a voulu éviter en obtenant, dans les accords d’Evian, une importante concession des négociateurs algériens visant à soumettre le contentieux pétrolier à une procédure d’arbitrage international
Première phase allant des années 1960 à 1980 : rejet de l’arbitrage commercial international
En application de la Déclaration de principe du 19 mars 1962 sur la coopération pour la mise en valeur des ressources du sous-sol du Sahara, un accord algéro français est conclu le 14 septembre 1963 pour fixer le règlement d’arbitrage à mettre en œuvre. Cet accord a ensuite été remplacé par les accords algéro-français du 29 juillet 1965 qui redéfinissent le régime des hydrocarbures et les conditions d’intervention des sociétés françaises y compris la procédure de règlement des litiges par voie d’arbitrage. En acceptant ces accords, l’Algérie avait sans doute mal mesuré toutes leurs conséquences, notamment la limitation aux prérogatives de l’Etat en cas de contestation des mesures prises à l’encontre des concessionnaires et c’est la pratique qui allait révéler l’ampleur des conséquences sur l’exercice de droits souverains par l'Etat. Il est vrai que le système d’arbitrage organisé par les accords algéro-français dérogeait singulièrement aux règles et procédures admises habituellement par le droit international et le droit interne des Etats : il aboutissait purement et simplement à paralyser les prérogatives de l’Etat les plus sensibles comme celles relatives à l’impôt. Un système aussi déséquilibré ne pouvait être accepté bien longtemps. Et ce sont précisément les résistances des sociétés pétrolières et les tergiversations du gouvernement français qui vont peu à peu entraîner une radicalisation des positions algériennes au point de glisser d’une hostilité spécifique à l'égard de l’arbitrage pétrolier algéro-français à une hostilité générale à l’égard de l’arbitrage en tant que tel et même à l’égard de tout règlement obligatoire de type international. Pour cette raison, l’Algérie se montre méfiante à l’égard de l’arbitrage commercial international :
Raisons politiques
- Après une longue période de colonisation, il y a une chose que l’Algérie ne souhaite pas par-dessus tout : une recolonisation déguisée au travers de décisions arbitrales auxquelles elle devrait se soumettre. L’Algérie ne souhaitait donc pas voir sa souveraineté enfin recouvrée mise en danger par des partenaires qui se serviraient de cet outil pour se soustraire à la compétence de ses juridictions nationales.
- Pendant la période coloniale, les litiges relatifs aux hydrocarbures étaient de la compétence du Conseil d’Etat. A l’indépendance, la France avait souhaité que désormais ces litiges relèvent de l’arbitrage. Cela a éveillé une certaine méfiance de l’Algérie à l’égard de l’arbitrage international, surtout que les hydrocarbures sont étroitement liés à la souveraineté nationale d’un État.
- De manière générale, dans le monde arabe, l’arbitrage a été perçu comme un rétrécissement du champ d’action des tribunaux nationaux.
- Il y a également eu durant les années 70-80 un ensemble de sentences arbitrales controversée, toujours en matière pétrolière, en défaveur des parties arabes et ou la dénaturation du droit qui a été faite par les arbitres occidentaux a clairement suscité un sentiment d’injustice dans le monde arabe, et en Algérie particulièrement. Exemple : Aramco c/ Abu Dhabi, Lybie c/ Texaco Calasiatic. La pratique, dans ces décisions, était souvent de tout mettre en œuvre pour écarter le droit applicable (souvent le droit du pays arabe) afin de faire application du droit étranger plus en faveur de la partie adverse. Dans la décision Texaco Calasiatic, l’arbitre s’est appuyé sur une disposition relative à la stabilisation ou au gel du droit applicable, pour en déduire abusivement, une interdiction faite à un Etat souverain de procéder à la nationalisation de ses ressources naturelles. Cette sentence a singulièrement condamné l’Etat lybien à une réparation intégrale en nature, alors qu’une réparation par équivalent était plus appropriée.
Raisons juridiques
Plusieurs phases légales en matière d’arbitrage se sont succédé en droit algérien :
- Interdiction de compromettre pour l’Etat et les personnes morales de droit public lors de la promulgation du code de procédure civile en 1966. En effet, l’article 442 de l’ordonnance n° 66-154 du 8 juin 1966 portant code de procédure civile prévoyait que “Toute personne peut compromettre sur les droits dont elle a la libre disposition. On ne peut compromettre sur les obligations alimentaires, les droits successoraux, de logement et vêtements, ni sur les questions concernant l'ordre public, l'état et la capacité des personnes. L'Etat et les personnes morales publiques ne peuvent pas compromettre. “
- Ordonnance n° 75-44 du 17 juin 1975 relative à l’arbitrage obligatoire pour certains organismes : institue l’arbitrage obligatoire entre les entreprises publiques et entre certains organismes publics. C’est en quelque sorte un arbitrage forcé, là où l’arbitrage moderne se veut être un choix offert aux parties contractantes de se soustraire aux juridictions classiques pour soumettre leur litige à une justice privée. Concernant l’arbitrage au plan international, la question ne se posait pas puisque l’Etat algérien avait le monopole en matière de commerce extérieur. Il n’était donc pas question de règlement des litiges entre sociétés privées auprès d’une institution arbitrale.
L’article 1er de l’ordonnance prévoit qu’ “ Echappent totalement à la connaissance des tribunaux et sont obligatoirement soumis à l’arbitrage, dans les conditions et formes ci-après déterminées, tous les litiges relatifs aux droits patrimoniaux ou ceux nés de l’exécution des contrats de fournitures, de travaux ou de services, pouvant opposer, dans leurs rapports, des entreprises socialistes, des unités autogérées à caractère agricole ou industriel, des coopératives d’anciens moudjahidine, des coopératives de la révolution agraire ainsi que des sociétés d’économie mixte dans lesquelles l’Etat est majoritaire.”
Cette ordonnance crée également une commission nationale d’arbitrage à l’article 2, lequel prévoit “ Il est créé une commission nationale d’arbitrage, dont le siège est à Alger, et une commission de wilaya d'arbitrage au niveau de chaque wilaya. Les arbitres appelés à composer la commission nationale d’arbitrage sont choisis sur une liste d’agents de l’Etat, fixée par décret, sur proposition des différents ministres. Les arbitres appelés à composer chacune des commissions de wilaya d’arbitrage sont choisis sur une liste arrêtée par chaque wali, sur proposition du conseil exécutif de la wilaya.”
Cette configuration est donc bien différente de celle que l’on connaît de l’arbitrage dans le monde actuel, dans lequel les arbitres doivent être choisis par les parties, même si le reste de la procédure ressemble fortement à l’arbitrage moderne. Par exemple la confidentialité y est garantie : "les audiences des commissions arbitrales se tiennent en présence des seules parties en cause et ne doivent recevoir aucune publicité.”
- loi n°86-14 du 19 août 1986 encourage les sociétés étrangères à s’associer avec la société publique Sonatrach et encourage la saisie d’une commission préalable de conciliation à l’article 63 dans les termes suivants : “Les litiges nés entre l'Etat et l'une des parties au contrat d'association relèvent des juridictions algériennes compétentes.
Les litiges opposant l'entreprise nationale à son associé étranger, nés de l'interprétation ou de l'exécution du contrat d'association, font l'objet d'une conciliation préalable dans les conditions convenues par les parties au contrat d'association. En cas d'échec de la procédure de conciliation, les parties au contrat peuvent soumettre le litige à l'arbitrage international.”
En pratique, les sociétés importantes acceptaient tout de même de compromettre et de se soumettre à l’arbitrage international sous la pression des partenaires étrangers qui y prétextaient une certaine sécurité juridique.
Seconde phase allant des années 1980 à nos jours : le recours accru à l’arbitrage international
Sous l’effet de la mondialisation, de l’accroissement et de la volonté de l’Algérie d’attirer des investisseurs étrangers, l’Algérie a bien dû se rendre à l’évidence et élargir le champ d’application de l’arbitrage.
Dans l’ordre international
- l’Algérie a signé des accords et conventions bilatérales pour la reconnaissance et l'exécution des sentences arbitrales
- 1983 : signature d’un accord algéro français prévoyant la création d’un tribunal international ad hoc,
- signature de nombreux accords visant à protéger l’investissement étranger et ayant participé à favoriser l’arbitrage,
- 12 juillet 1988 : ratification par l’Algérie de la Convention de New York du 10 juin 1958 pour la reconnaissance et l'exécution des sentences arbitrales étrangères : mais l’Algérie exige d’une part la réciprocité d’application de la convention pour l’applicabilité de ladite convention et que le litige réponde à la définition algérienne du caractère commercial ;
- 21 janvier 1995 : approbation de la convention de Washington visant à créer le CIRDI (centre international de règlement des différends en matière d’investissement);
Dans l’ordre interne
- Loi du 4 décembre 1991 introduit dans la l’ordre interne le recours à l’arbitrage commercial international dans certain domaines,
- décret législatif du 25 avril 1993 : institue pour la première fois en Algérie l’arbitrage commercial international comme procédé privilégié de règlement des litiges susceptibles d’opposer des opérateurs locaux à leurs partenaires étrangers.
- loi 05-07 du 28 avril 2005 a pour la première fois consacré en matière d’hydrocarbures le recours à l’arbitrage, en imposant toutefois une conciliation préalable.
- Loi n°08-09 du 25 février 2008 portant nouveau code de procédure civile et administrative consacre définitivement le recours à l’arbitrage. Il reprend en partie les dispositions du décret législatif du 25 avril 1993, avec certaines modifications.
En pratique, peu ou pas de formations académiques ont été développées en Algérie. Si les contrats internationaux, avec la Sonatrach, notamment, désignent souvent l’obligation de se soumettre à un arbitrage devant un centre à l’étranger, la culture de l’arbitrage n’est pas encore développée au plan local et la justice commerciale publique a encore de beaux jours malgré des décisions très souvent contestables. Certains contractants algériens acceptent de signer des clauses d’arbitrage sans avoir aucune connaissance de l’institution arbitrale et de son règlement d’arbitrage. Ils acceptent, parfois, une langue d’arbitrage qu’ils ne maîtrisent pas. Or, la rédaction de la clause de règlement des litiges est aussi importante que les dispositions relatives aux prix, à la qualité, aux pénalités de retard par exemple. Celle-ci est presque toujours en défaveur de la partie algérienne, car sa rédaction est laissée à l’autre partenaire qui ne manquera pas de la rédiger en sa faveur et en choisissant lui-même les conditions du déclenchement de la procédure d’arbitrage en cas de survenance d’un litige. Et même lorsque la partie algérienne à l’arbitrage choisit sa défense, elle opte généralement pour des cabinets étrangers, prétendant détenir une expertise en matière d’arbitrage alors que pour beaucoup, il s’agit d’une première expérience, privant ainsi les avocats algériens du développement d’une maîtrise de la procédure arbitrale et d’une expertise en la matière. De manière générale, la culture de la concertation, du débat d’idées, de l’échange, de la confrontation saine n’est pas encore suffisamment ancrée dans notre pays alors qu’elle constitue une ligne cardinale dans les autres, et tout particulièrement en matière d’arbitrage dont l’entente entre les parties est le maître-mot.
Si l’Algérie est toutefois un bon client de la CCI, il demeure très difficile d’avancer des chiffres, car le propre de l’arbitrage est sa confidentialité du fait qu’il soit une justice privée. Si l’on prend la plus grosse entreprise publique algérienne, Sonatrach, celle-ci, par recoupement, a connu plus d’une cinquantaine d’arbitrages traités. Forcément, on ignore les résultats mais selon certaines sources, il y aurait plus de sentences arbitrales perdues. Il est également compliqué de connaître les montants exacts obtenus ou perdus. Cela peut se chiffrer en millions ou milliards d’euros ou de dollars.
On se souviendra par exemple de la société italienne Saipem qui avait engagé une procédure d’arbitrage auprès de la CCI réclamant à Sonatrach, la somme de près d’un milliard d’euros.
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