À l’heure où les flux financiers traversent les frontières à la vitesse d’un clic, les institutions financières du monde entier sont en première ligne face à trois menaces majeures : le blanchiment d’argent, le financement du terrorisme et la prolifération des armes de destruction massive. Ces phénomènes, longtemps perçus comme abstraits, ont aujourd’hui des répercussions très concrètes : déstabilisation des marchés, infiltration du crime organisé dans l’économie légale, atteinte à la sécurité nationale.
Consciente de ces enjeux, l’Algérie renforce, depuis plusieurs années, son arsenal juridique et institutionnel pour protéger son système financier. Après la loi n° 05-01 du 6 février 2005, véritable texte fondateur de la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, plusieurs réformes sont venues moderniser le dispositif :
- la loi n° 23-09 de 2023 sur la monnaie et le crédit, qui a renforcé les pouvoirs de supervision de la Banque d’Algérie ;
- les décrets exécutifs de mars 2025, relatifs au gel des avoirs et à la liste nationale des personnes ou entités terroristes ;
- et surtout, la montée en puissance du rôle de la Commission bancaire et de la Cellule de Traitement du Renseignement Financier (CTRF), véritable pivot de la détection des flux suspects.
C’est dans ce contexte que la Commission bancaire a publié, le 26 octobre 2025, les Lignes directrices n° 05/2025 relatives à l’identification des relations avec les pays à haut risque.
Ce document n’est pas qu’une simple instruction technique : il constitue un véritable guide opérationnel de conformité, destiné à aider les banques, les prestataires de paiement et les bureaux de change à reconnaître, évaluer et maîtriser les risques liés à leurs relations avec certains pays sensibles.
Ces lignes directrices concrétisent la Recommandation 19 du Groupe d’Action Financière (GAFI), norme internationale exigeant des États qu’ils appliquent une vigilance accrue et, le cas échéant, des contre-mesures face aux pays présentant de graves carences dans la lutte contre les flux illicites.
Elles s’inscrivent dans une logique de sécurité juridique et financière, qui vise autant à préserver la réputation du système bancaire algérien qu’à protéger la souveraineté économique du pays.
Pourquoi ces lignes directrices ?
Les lignes directrices 05/2025 ont un double objectif :
- Aider les institutions financières à repérer les risques liés à certains pays où les contrôles contre le blanchiment ou le financement du terrorisme sont jugés insuffisants.
- Mettre en place des mesures de vigilance renforcée et, si nécessaire, des contre-mesures, pour protéger le système financier national des flux financiers illicites.
Elles s’appliquent à toutes les institutions soumises au contrôle de la Commission bancaire, notamment :
- les banques et établissements financiers,
- Algérie Poste (pour ses services financiers),
- les prestataires de paiement,
- et les bureaux de change.
Un cadre réglementaire solide
Ces lignes directrices s’appuient sur un ensemble cohérent de lois et règlements nationaux, comme la loi n° 05-01 du 6 février 2005, relative à la prévention et à la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, ainsi que ses mises à jour.
Elles s’inscrivent également dans la continuité de plusieurs décrets récents, notamment ceux relatifs :
- à la transparence des bénéficiaires effectifs (personnes qui possèdent réellement une entreprise),
- au gel des avoirs liés à des activités terroristes,
- et à la gouvernance interne des institutions financières.
Enfin, elles traduisent dans le droit algérien les recommandations internationales du GAFI, notamment la Recommandation 19, qui porte spécifiquement sur la gestion des relations avec les pays à haut risque.
Qu’est-ce qu’un pays à haut risque ?
Un pays à haut risque est un État pour lequel :
- le GAFI ou la Cellule de Traitement du Renseignement Financier (CTRF) estime que les dispositifs de lutte contre le blanchiment d’argent ou le financement du terrorisme sont insuffisants ;
- ou qui présente un niveau de corruption, d’instabilité politique ou de non-coopération internationale rendant les flux financiers suspects.
Les mesures de vigilance renforcée
Les institutions doivent appliquer des contrôles supplémentaires lorsqu’elles traitent avec des clients ou des partenaires provenant de ces pays. Ces mesures incluent :
- Collecter plus d’informations sur le client, son activité et l’origine des fonds ;
- Obtenir l’autorisation préalable de la direction générale avant d’ouvrir ou de maintenir une relation d’affaires ;
- Limiter certains produits ou services financiers jugés trop risqués ;
- Surveiller régulièrement les transactions pour détecter toute opération inhabituelle ;
- Signaler immédiatement tout soupçon à la CTRF, même avant l’exécution d’une opération.
Les contre-mesures en cas de risque élevé
Si la situation est jugée particulièrement dangereuse, des contre-mesures plus strictes peuvent être décidées :
- Interdiction de certaines opérations financières avec le pays concerné ;
- Refus d’établir des relations bancaires avec des institutions situées dans ces pays ;
- Réévaluation régulière des relations existantes ;
- Suspension ou limitation des transactions avec les entités impliquées.
Ces décisions sont souvent prises à la suite des recommandations du GAFI ou de la CTRF, qui publient régulièrement des listes de pays sous surveillance.
Gouvernance et responsabilités internes
Chaque institution doit intégrer ces exigences dans sa gouvernance interne.
Concrètement :
- Le Conseil d’administration doit être informé au moins une fois par an du niveau d’exposition de la banque aux pays à haut risque ;
- Des procédures internes écrites doivent définir les rôles et responsabilités de chaque service ;
- Le personnel doit bénéficier de formations régulières pour identifier les signaux d’alerte ;
- Des outils informatiques doivent permettre la mise à jour automatique des listes de pays à haut risque publiées par la CTRF ou le GAFI.
Coopération avec les autorités
La lutte contre les flux financiers illicites repose aussi sur une coopération étroite avec les autorités.
Les institutions financières doivent :
- Répondre sans délai aux demandes de la CTRF ;
- Tenir informée la Commission bancaire des mesures appliquées ;
- Appliquer immédiatement les nouvelles listes de pays à risque transmises par les autorités.
Le secret bancaire ne peut pas être invoqué pour refuser une telle coopération.
Révision et sanctions
Ces lignes directrices seront révisées régulièrement pour rester en phase avec les évolutions internationales.
Tout établissement qui ne les respecte pas s’expose à des sanctions disciplinaires, financières ou pénales, conformément à la réglementation en vigueur.
Une exigence de transparence et de sécurité
Avec ces Lignes directrices n° 05/2025, la Commission bancaire renforce la solidité du système financier algérien face aux menaces mondiales.
Elles traduisent une volonté claire : préserver la transparence, la confiance et la crédibilité du secteur financier, en veillant à ce que l’Algérie reste un acteur responsable et vigilant sur la scène internationale.
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